L’idée m’était venue dans un moment où l’esprit était en paix. J’allais me sortir de Paris grâce à l’autostop.

Les jeux olympiques s’étaient achevé, et août arrivait à sa moitié. Dans Paris, en partie désertée depuis le début de l’été, les quelques îlot d’effervescence qui avaient jailli dans la ville autour des lieux des épreuves et des fan zones s’étaient évanouis. Les avenues de la ville étaient tout comme des images figées, pas de véhicules, pas de bruit, quelques passants épars. Paris eut été déclarée « ville ouverte » qu’elle n’eût pas eu une allure différente. Le seul élément qui s’attardait dans la ville, c’était un air de plus en plus lourd.

Au début de l’été, j’avais espéré faire de l’argent grâce à un restaurant dont je m’occuperais pendant les jeux olympiques. Les jeux étaient faits, et le bilan était mitigé. Je me retrouvais désormais face à une ville vide. La chaleur, le béton, la déception me montaient à la tête. J’avais besoin de partir. Cela faisait quatre mois que je n’étais pas sorti de la ville, et la simple idée de voir l’océan et m’y jeter me faisait frissonner de plaisir. Mon obstacle, le peu d’argent que j’avais, je devais le garder pour septembre, et, sans situation, il aurait été insensé de dépenser plusieurs centaines d’euros dans deux billets de train.

Alors que je réfléchissais aux moyens de me sortir de Paris à moindre frais, dans un bref moment où l’esprit était en paix, je me vis au bord d’une route le pouce levé. Pour la première fois, je pensai à l’autostop comme mode de voyage. Je regardai la distance et le temps de trajet qui séparait Paris d’une des îles françaises de l’Atlantique. Cinq cents kilomètres de distance et cinq heures de trajet. Cela me paraissait beaucoup. Est-ce que je n’allais pas juste m’offrir le luxe de passer pour un idiot et de cuire en plein air ?

Les situations précaires ont ceci de bon qu’elles laissent aux idées nouvelles la chance de s’exprimer. Je n’avais rien à perdre. J’avais aussi commencé mon premier récit, et j’espérais qu’un changement de paysage et l’air marin m’aideraient à l’aboutir. Et maintenant que l’idée de voyager en autostop m’avait traversé l’esprit, j’étais aussi curieux de découvrir les profils des personnes qui prendraient un autostoppeur.

Il existe un Wikipédia des auto-stoppeurs, et c’était là que, pour la destination que je m’étais choisi, je trouvai mon point de départ : rond-point du Petit Clamart. Equipé d’une ardoise sur laquelle j’avais inscrit une première ville étape, je me plaçai sur la surélévation en béton qui longeait le rond-point. Protégé du soleil par une structure sur laquelle s’étalait une voie rapide, j’attendis là plus de deux heures. Assez longtemps pour me demander si je ne m’étais pas fait tromper par une vision issue de mon imagination plutôt que d’un rapport éclairé au réel.
Puis une voiture s’arrêta.

Je le découvrirais quand je répéterais l’expérience : sortir des villes est toujours la partie la plus ardue. Une fois sur la route, les prises s’enchaînent, et le temps d’attente devient mineur.

Pour ce qui était des profils de ceux qui prennent des autostoppeurs, je ne pus jamais dresser une règle générale. Certes, il y eut souvent des hommes anciens autostoppeurs qui étaient heureux d’un peu rendre l’aide qu’ils avaient reçu par d’autres, s’étonnant de ne plus voir d’autostoppeurs sur les routes, mais pour le reste, il n’y avait pas de profil type. Jeunes, moins jeunes, hommes, femmes, couple d’artistes, couple de quinquas dans l’existence la plus installée qui soit, mère avec un enfant en bas-âge à l’arrière, retraitée, camionneur, lobbyiste au parlement européen, familles, groupe de copines, étrangers. Pas de règle générale.

Après cette première fois, je continuerais ensuite à faire de l’autostop, parfois moins porté par la nécessité qui m’y avait poussé la première fois, parce qu’avec l’autostop, j’avais découvert un plaisir de jeune homme.

C’était le plaisir, avant de partir vers une destination, d’étudier sur Maps le plan des villes depuis lesquelles je partais ou passerais pour trouver le meilleur endroit d’où partir puis où être déposé pour continuer le voyage. C’était le plaisir de se faire un peu battre par les éléments, un soleil qui brûle ou une pluie qui arrose, tout en restant statique face à eux. C’était le plaisir d’un chemin vers une destination qui s’appréciait mieux que lorsqu’il était fait en train ou en avion. C’était le plaisir de découvrir, sur un temps très court, par les échanges qui avaient lieu dans l’habitacle des voitures, une multitude d’existences qui s’esquissaient. C’était le plaisir de passer d’une ville à une autre en France pour pas un euro, ou presque. C’était le plaisir des réajustements stratégiques, quand l’attente se faisait trop longue, pour aller à un point plus propice en passant par des chemins non battus. C’était le plaisir de se faire détromper dans mes jugements. « Jamais elle ne s’arrêtera elle avec son style de bourgeoise. » me dis-je une fois, seulement pour voir la voiture s’arrêter sur le bas-côté dix mètres plus loin. C’était le plaisir de redouter de passer la nuit dehors, puis de se faire sortir de l’embarras par un inconnu, pour arriver tard dans la nuit à destination. C’était aussi parfois le plaisir, pour lequel j’avais un goût plus modéré, de passer la nuit dehors. C’était le plaisir, lorsque je me rapprochais de ma destination, d’appréhender d’abord un territoire par les locaux qui m’y conduisaient et qui me livraient des tranches d’histoire, de géographie, et me glissaient quelques conseils et tuyaux pour me faciliter la vie une fois que je serais sur place. C’était le plaisir de se mettre en contact avec la bonté des hommes.

Je parle de l’autostop comme d’un plaisir de jeune homme, d’abord parce qu’il est certain que cela aurait été plus dangereux pour une jeune femme, puis parce que, passé un temps, un âge, il devient inconvenant de se déplacer en s’en remettant totalement à la générosité des autres.

Pour moi, ce temps dura un peu plus d’un an. Je me souviens de cette période de mon existence avec une grande netteté, presque comme si c’était hier, et je repense toujours avec joie aux sentiments de liberté et de confiance qu’avait fait naître la pratique. Où que j’étais, je pouvais prendre la route. Où que je décide d’aller, j’avais la certitude que le chemin ne se ferait jamais sans rencontre.

Avant d’abandonner la pratique, après avoir senti à quel point la France s’était rétréci du fait de pouvoir m’y déplacer si facilement, après être arrivé plusieurs fois à destination, incrédule du peu de temps que cela m’avait pris, ragaillardi par les conversations qui avaient eu lieu sur la route, à me dire : « J’aurais pu aller tellement plus loin. »,  je décidai, pour la première fois, de mettre le cap vers l’étranger.
Direction Stockholm.

Laisser un commentaire